Dialogues41# Samedi 14 juin-Festival d'éco-poétique "murmure du monde" en val d'Azun.
Écouter, toucher, être touché du col d'Aubisque au col de Couraduque.
Musique: G. Pelecis, passage.
Article C.Bessi pour dialogues aligre FM.
Nous n'aurons passé qu'une petite journée au festival murmure du monde en val d'Azun… Et quelle journée !
Les orages et les temps lourds de la veille avaient cédé la place au brouillard épais qui s'accumule, plafond bas et mat, dans les fonds de vallée. Il n'y avait absolument aucune certitude de trouver le soleil au-dessus de l'Aubisque, ni même de distinguer les sommets. Nous avions l'habitude de monter pour monter, ensemble, entre mères avec nos enfants, durant toutes ces vacances partagées en montagne.
Nous ne partions pas, pour une fois !, avec la ribambelle, mais seules, pour une expérience de ”tiers paysage”.
Il s'agissait de découvrir un lieu inconnu et indécis, délaissé ou en réserve pour une expérience propre.
Nous partions pour Couraduque, un col connu pourtant, pour être un spot de parapente. Mais nous savions que nous ne partions pas pour une activité, un divertissement sportif pour voir le paysage comme “nous ne l'avions jamais vu”.
En l'air.
- Qu'est ce qu'un tiers paysage ?
- Que va-t-on y chercher ?
“Cet ensemble qui, dit Gilles Clément, n’appartient ni au territoire de l’ombre ni à celui de la lumière. Qui se situe aux marges. En lisière des bois, le long des routes et des rivières, dans les recoins oubliés de la culture, là où les machines ne passent pas.”
Que resterait-il, sur la route, de pène sarrière et de pène meda, quoi encore des pics de Ger et d'Anglas et au fond, quelle hourquete?
Au-dessus de la mer, tout au fond, un résidu de terre et de pics, pour se souvenir qu'on n'était pas encore dans l'air. Et juste en bas, sous la belle verte et le grand azur, l'écume de nuages cotonneux, vaporisant ses embruns sur les flancs râpeux des cimes: La carte postale du Tour de France des 3 cols pyrénéens. Sur la route des crêtes blanches, un bûcheron seul et aguerri, planté en compas sur son bas-côté (un guide de haute montagne peut-être ?-, il nous semble avoir reconnu celui qui nous fit gravir, enfant, l'"Ossau"-mais on ne sait pas et ne veut pas savoir: il ne faut pas déranger- ici, ça travaille-) remplit généreusement sa remorque de bûches de hêtres.
La coupe dévale la pente comme une langue de lave ou un résidu printanier d'avalanche: On a éclairci largement la forêt; l'été n'a pas commencé que l'on prépare déjà l'hiver.
Le réel, par ses rencontres, invite-insolent- à reconnaître la pusillanimité d’hier: nous avions, hélas, manqué la marche proposée par Mathias Bonneau pour”faire vie de tout bois”, par crainte-confession honteuse ! -de la nuit sous l'orage (bûcheron, seuil, 2025). Sur les pentes, encore, les lumières de plein juin: les coussins de genêts languissant aux premiers rayons tandis que les linaigrettes pleurent encore, juste derrière, dans la rosée de leur petit vallon.
Là, quelques cyclistes à l'accent anglais interrogent les automobilistes sur la légitimité de leur ascension matinale, dans cette insécable brume:-à quoi bon pousser plus haut pour un tel ” mashed potatoes”?
Plus haut encore, les petites mains de l'Internationale course cycliste féminine installent sur le col, les fanions et les banderoles d'une étape sportive (les gros camions indiquent la teneur de l'épopée télévisuelle et l’on mesure-on hume-en cette journée humide, l'aventure routière d'une descente et course poursuite- à l'aveugle-dans cette crème battue d’”arrousillado”-la bruine en patois).
En contre-bas, d'impassibles blondes d'Aquitaine comme suspendues par leurs cornes dans la gaze posent; quelques brebis stagnent, comme chez elles, sur le bitume, assez peu encore, toutefois; et, plus bas en Azun, des vaches “étrangères” -ni des blondes, ni des gasconnes mais des limousines toutes mouchetées de noir comme les feuilles d’orchis, tendent le dernier décor d'un film en noir et blanc.
Il faudra descendre jusqu'à Aucun puis remonter jusqu'au col de Couraduque. C'est là que commencent les ombres chinoises sur le chemin du col, célébrant comme une cérémonie occulte, juste au bord de la mare aux grenouilles.
Nous n'avions trouvé presqu’aucune signalétique: ni panneau, ni barrière, ni feux de signalisation, juste deux dames agitant de grands panneaux, comme on agite fièrement sa fourche à la fin du dernier foin et regain. Elles placent et orientent en gestes amples et souriants, comme on invite encore quelquefois dans les théâtres de verdure. Des femmes retraitées peut-être, à leur place d'hospitalité, sur le seuil, pour introduire au concert de silence. Plus d'une centaine de personnes: des tout petits avec leurs parents, des plus expérimentés, des amateurs de kway ou de parapluie de berger ou de ville, de chapeaux de paille ou de bonnet, des marcheurs et des flâneurs(on les distingue sur ce point à leurs souliers). Des silhouettes, comme spectrales détachées ici et là, et serpentant- dragon des cimes pour quel Nouvel An ?-jusqu'aux gradins de fougères aux nez racornis.
Que se passe-t-il quand le paysage visuel n'est plus qu'écoute des pas dans l'herbe à peine humide et que l'homme multitude se fait discret, hoplite du silence dans le Marais?
On s'étonne-à rebours-de n'avoir rencontré aucun hoplia dans une telle moiteur.
Que sent-on et voit-on, au ras de l'herbe, quand le paysage se borne à quelques mètres d'une toute petite circonférence où surgit une voix, dont le micro devient-heureusement- défaillant?
Comment cohabiter ici avec les quelques minuscules grenouilles, que l'on a peur d'écraser et dont on aime la même compagnie, envahissante et grouillante à Bious et sur les bords de l’Alcanadre?
Et dans quels souvenirs ces amphibiens nous replongent-ils ? Celui d'un crapaud toujours caché dans un coin du tas de bois à celui qui s'est dissimulé, un jour, sous le bivouac, ou bien aux premiers têtards des abreuvoirs de l'enfance ?
Ou bien encore, à la lecture des réflexions d'Orwell sur le crapaud ordinaire? (12/04/1946)
Qu'est-ce qui nous rend, par le texte, sinon le paysage perdu aussi toute une généalogie et géologie personnelle?
Quel récit, précis d'observation de ce lieu, par tout temps et saison, sort le fond de l'ombre et le fait apparaître, sans écraser ce qui précisément est, se sent et sent là, tout proche, cohabitant par sa voix propre?
Est-ce donc, par anthropomorphisme que le chant des grillons semble recevoir comme avec gratitude,ou contre don, la voix humaine de Geneviève de Bueger ?
Qu'est-ce que -comme le rappelait dans le dialogue qui suivit, le professeur J.C Cavallin (directeur avec Christine Marcandier du Master d'éco-poétique à distance de l'université Aix-Marseille) à son ancienne élève qu'elle tutoyait pour la première fois “l'inconscient photographique du paysage”W. Benjamin?
Ce qui manque ou est perdu et ce qui apparaît parce qu'on n’ y prête pas attention.
Quelle appétition pour et dans l'écriture rend aux perceptions de la nature leur variété, leur caractère inattendu, leur surprise, la pluralité des mondes possible dirait Leibniz?
Qu'est-ce qui contribue à maintenir le dialogue ouvert avec l'humain et le non humain, la présence tutélaire de l'homme dans la montagne et son effacement progressif ?
Voilà bien des questions qu'invite à réfléchir le très beau texte de Geneviève de Bueger, la gratitude qui s'y exprime non seulement pour les gens du pays, mais pour une lecture fine d'un paysage vécu, arpenté et aimé. par le plaisir que procure l'écriture non pour s'approprier un lieu mais pour l'élargir, l'offrir et lui redonner son l'histoire.
On ne s'étonnera pas que tout coule de source ensuite: l'accueil inouï-le refuge- de la librairie du kairn: de ses trois libraires si chaleureuses et radieuses dans leur accompagnement du festival, distribuant les tickets repas en même temps que des livres qui interrogent notre avenir commun, des géographes, des philosophes, des poètes et des romanciers.
Et que dire de cette délicieuse salade végétarienne, plat unique pour tous et l'avalanche exquise des desserts qui nous rappelle la gourmandise des montagnards, sobres et ascètes dans leurs ascensions mais souvent, bon vivants à la descente?
On ne sait pourquoi nous revient, très précisément, le goût mémorable de ce cheese-cake au greuil citronné, dégusté un jour d'été 2009 à Pombie à l'époque où Karine, maintenant fantastique libraire reconvertie, tenait le refuge. Quand tout fait sens par une expérience très simple des plaisirs et nourritures élémentaires, la tête peut se préparer à écouter les savants sous le chapiteau, à partager un verre d'eau et bavarder avec la voisine, venue de Dordogne pour ses vacances, heureuse de pouvoir participer à des ateliers d'écriture et des conférences nourrissantes.
On repart l'intelligence repue et avec le sentiment vif d'une cohabitation possible des êtres humains d'ici et d'ailleurs, et des non humains tout autant, lorsqu'on quitte la table des dédicaces, où le philosophe Olivier Remaud palabre longuement avec les uns et les autres tandis que le géographe Michel Lussault, en fait tout autant, veillé par un border-collie, visiblement familier du lieu et aimant la compagnie, qui se repose à ses pieds.
Télécharger le podcast

DIFFUSION sur la FM :
Lundi - vendredi : 4h -12h et 17h - 21h
Samedi : 16h - minuit
Dimanche : 00h - 14h et 22h - 4h