Dialogues #19 avril 2025 Des frontières ou des murs: Penser le droit d’asile avec la jeunesse d’aujourd’hui.(épisode 2)

Dialogues aligre FM- 19 avril 2025
Des frontières ou des murs: Penser le droit d’asile avec la jeunesse d’aujourd’hui.(épisode 2)
Invités:
Membres et bénévoles de l’association POUR (Piémont oloronais urgence réfugiés) -
lien de l'association: https://assopour.org
-Magali Portet (enseignante FLE bénévole)
-Elisabeth Marimbordes (enseignante FLE et coordinatrice pédagogique pour l’enseignement du français)
Elèves de Terminale du lycée saint Joseph d’Oloron Sainte Marie ( Gala, Ixeya, Candela, Charlotte, Emelyne, Matheo, Anaïs)
Technique: Philippe
Animatrice: Christine Bessi
Préambule: Kant, Projet de paix perpétuelle
“Il est ici question non de philanthropie mais du droit. Hospitalité signifie donc ici le droit qu'a l'étranger, à son arrivée dans le territoire d'autrui, de ne pas y être traité en ennemi. On peut ne pas le recevoir si cela n'entraîne pas sa ruine; mais on ne doit pas se montrer hostile envers lui aussi longtemps qu'il se tient paisiblement à sa place. L'étranger ne peut invoquer un droit d'accueil, car on exigerait alors un contrat particulier de bienfaisance qui ferait de lui pour quelque temps un habitant de la maison, mais un droit de visite, le droit qu'à tout homme de se proposer comme membre de la société, en vertu du droit de commune possession de la surface de la terre sur laquelle, en tant que sphérique, il ne peuvent se disperser à l'infini; Il faut donc qu'ils se supportent les uns à côté des autres, personne n'ayant originairement le droit de se trouver à un endroit de la terre plutôt qu'à un autre.”
Kant établit un parallèle entre les relations entre les personnes et les relations entre les Etats car il considère l’hospitalité non comme un principe moral de bonne volonté et de simple empathie envers l’être humain mais comme un droit fondamental et inconditionnel pour la personne humaine. Il fait en ce sens de l’hospitalité le premier devoir politico juridique afin de préserver des relations pacifistes entre les Etats et de penser la possibilité de rapprochement du genre humain par une solidarité entre pays d’accueil. C’est pourquoi, la juridicisation des relations entre individus, synonyme de pacification est vouée à se prolonger dans la juridicisation des relations entre États. Kant oppose donc une hostilité indue à une hospitalité requise. Par conséquent, il faut établir une différence entre droit d'accueil et droit de visite. Kant refoule l'asile hors du champ d'action du droit à l'hospitalité car celui-ci découle d'une situation de nécessité. En effet, le réfugié ne décide pas de son plein gré de se rendre en territoire étranger, il y est contraint par les circonstances extérieures. Si l'asile ne ressort pas du droit à l'hospitalité, c'est parce qu'il fait déjà l'objet d'une obligation morale, imprescriptible donc aux yeux de Kant: la protection de l'intégrité physique de chacun est un devoir inconditionnel qui précède donc les obligations juridiques contractuelles. Il entend admettre à la multiplicité des États le droit d'administrer chacun son territoire respectif mais, afin que ce dernier soit reconnu comme tel par les autres États, il faut, par principe, assurer un droit inconditionnel de visite à tout individu. Une ligne de partage, une limite est donc établie entre droit de visite et droit de résidence, mais plus l'entente et l'alliance entre les peuples grandira plus le droit de visite et droit de résidence se confondront. Le projet de paix de Kant entre les Etats tient en trois propositions que Kant nomme “ articles définitifs “ :1. Dans tout Etat, la constitution civile doit être républicaine/2. Le droit des gens doit être fondé sur un fédéralisme d'Etats libres/3. Le droit cosmopolitique doit se restreindre aux conditions de l'hospitalité universelle.
1)Introduction:
Nous avons voulu redonner la parole à ceux que Ricoeur appelle “les petits” dans une lecture toute personnelle qu’il donne à l’Evangile du bon Samaritain. Ricoeur distingue dans histoire et vérité plusieurs figures du "petit", du figurant au soldat de 2 ème classe, en passant par l’ouvrier à la chaîne et dont la personne déplacée semble être le point culminant de l’éconduit ou du reconduit aux oubliettes de l’histoire. A côté des acteurs de l’histoire et des institutions qui en décident le cours, le philosophe Ricoeur invite à se saisir non des actes mais des gestes faits en situation limite pour les personnes réduites à la détresse de la seule condition humaine (se nourrir, se vêtir, se loger).
-Qu’implique d’être démuni socialement par l’empêchement de la parole en particulier et l'impossibilité de la participation par le travail à la vie sociale). Qui sont ceux et celles qui se préoccupent non des miséreux mais des “petits”? Qui sont ces “petits” de l’histoire? Pourquoi se mettre à leur écoute?Quel est le sens caché de l'histoire des petits et des perdants, gratifiés de la seule “petite bonté” chère à V.Grossman? A quelle détresse de la simple condition humaine répond celui qui s’engage pour l’hospitalité?
-Textes d’appui à la problématisation
- Histoire et Vérité- collection esprit seuil, Paul Ricoeur, 1955
“ Donner à manger et à boire, recueillir l'étranger, vêtir ceux qui sont nus, soigner les malades, visiter les prisonniers, ce sont là autant de gestes simples, primitifs, faiblement élaborés par l'institution sociale; l'homme y est montré en proie aux situations-limites, démuni socialement, réduit à la détresse de la simple condition humaine. Le vis-à-vis de cette conduite primitive est appelé « un petit »; c'est l'homme qui n'a pas de rôle conducteur dans l'histoire; il est seulement le figurant qui fournit la ration de souffrance nécessaire à la grandeur des vrais événements « historiques »; c'est l'anonyme porteur de la caravane sans qui le grand alpiniste manquerait de gloire; c'est le soldat de deuxième classe sans qui les grands capitaines manqueraient non seulement leurs coups de génie, mais même leurs erreurs tragiques; c'est l'ouvrier du travail parcellaire et monotone sans qui les grandes puissances ne construiraient pas construiraient d'équipement industriel moderne; c'est la « personne déplacée », pure victime des grands conflits et des grandes révolutions. Le sens de l'histoire, tel du moins qu'il est déchiffré par les acteurs eux-mêmes, passe par les événements importants, par les hommes importants. Les «petits», ce sont tous ceux qui ne sont pas récupérés dans ce sens de l'histoire. Mais il est un autre sens qui regroupe toutes les minuscules rencontres laissées pour compte par l'histoire des grands; il est une autre histoire, une histoire des actes, des événements, des compassions personnelles, tissée dans. l'histoire des structures, des avènements, des institutions. Mais ce sens et cette histoire sont cachés."
- Laure Borgomano, la réserve: pudeur, ressources et résistance par temps de crise, labor et fides, 2025
“Après avoir abandonné ma vie professionnelle, j'ai eu l'occasion de rencontrer et d'héberger des demandeurs d'asile, libyens, syriens, afghans. Ils parlaient peu des convulsions encore trop proches de leur existence et je respectais leur pudeur. Nos échanges portaient sur le présent (comment s'organiser), sur le futur (que projeter) et sur “l'ailleurs” en quoi consistait le pays qu'ils venaient de quitter et où se trouvait encore une partie de leurs familles qu'ils réussissaient à joindre sur leurs téléphones portables. D'une certaine façon, je les sentais comme suspendus dans un étrange entre-deux: entre deux espaces et entre deux temps. À l’OTAN, ma perplexité, difficile à partager, retrouvait là l'écho d'un intérêt ancien pour la vie dans les camps de concentration. Comment ont fait les déportés pour résister éthiquement, sans nier la réalité du camp, sans pour autant s'y plier corps et âme ? Entre la compromission, l'avilissement et la révolte héroïque ou sacrificielle, y avait-il place pour une troisième voie éthique, comme l'aurait souhaité la philosophe Hannah Arendt?”
2) Problème et diagnostic du dispositif d’inhospitalité: Qu'est ce qui distingue la personne humaine d'un bien dès lors qu'elle est ballottée de lieux en lieux en attente du traitement administratif de son “dossier“? Qu’implique, par exemple, de quitter un groupe ou une communauté de soutien et de s’isoler dans des villes ou des villages français lointains et inconnus? Comment les différentes régions de France et d’Espagne traitent la question migratoire? Est-ce en solidarité? Quelle initiative est laissée aux Etats malgré les règlements européens? Quelle politique migratoire distingue celle de la France et de l’Espagne, par exemple? En quoi consiste la loi espagnole de novembre 2024 invitant à simplifier les démarches administratives de régularisations, à régulariser les demandeurs d’asile et les déboutés du droit d’asile et ainsi, donner un statut juridique à près d’un million de personnes ? Comment parle-t-on de la politique d’immigration dans la presse régionale et locale? Pourquoi le discours politique assimile-t-il de plus en plus systématiquement l’etranger à une menace pour la sécurité civile? Qu’implique une hospitalité par degré et par proportion? Peut-on considérer qu’une éthique qui s’occupe de l’action juste puisse reposer sur le désir respectable de se sentir chez soi et sur la représentation de l’étranger comme menace alors que tant de peuples n’ont précisément plus de “chez eux”? Et que signifie cette supposée maîtrise et ce prétendu “chez soi”? Ne faut -il pas dépasser les seuls principes éthiques et penser une véritable politique de l’hospitalité au plus près de l’initiative de ceux et celles qui s’en rendent responsables et imputables?
3) Témoignages des bénévoles et intervenants de l’association POUR:
-Magali Portet/Elisabeth Marimbordes
-Témoignage d’Alphonse, réfugié Congolais.
- Lecture du poème “Debout” de Tchicaya u Tam’si( 1931-1988) par le poète lui-même.
4) Conclusion
J.Rogozinski, inhospitalité, cerf, 2024
“L’accueil hospitalier est inséparable d’une reconnaissance envers ceux que l'on accueille. Il exige de reconnaître leur culture, leur langue, tout ce qui constitue leur histoire, mais aussi d'éprouver de la gratitude envers eux. Car l'étrangeté des étrangers est une promesse, celle de cet “élargissement du monde” dont parlait Husserl: d'une rencontre qui transforme les manières de penser et d'agir du pays d'accueil, qui empêche la nation de se replier sur elle-même dans l'exaltation d'une “identité nationale” fictive. En inventant de nouveaux modes de vie, ce croisement fécond dénaturalise la nation, la déconstruit pour qu'elle se reconstruise autrement. L'écrivain antillais Édouard Glissant l'a nommé”créolisation”. Il s'agit d'un processus de métissage, d'hybridation universelle, indissociable de la mondialisation, du devenir-monde de la démocratie. La créolisation favorise l'institution d'une nouvelle citoyenneté transnationale, celle des citoyens du monde. S'il convient d'accueillir avec gratitude les migrants, c'est qu'ils sont les messagers de la Cosmopolis, les premiers-venus du peuple-monde. Ils annoncent l'avènement d'une société délivrée des pathologies de l'archi-frontière:”
Musique: Chouchane, Yes Saren Goukayi (je venais de la montagne).
Lectures d’appui:
Vers la paix perpétuelle, GF, Emmanuel Kant
De l’hospitalité, A.Dufourmantelle-J.Derrida, payot
Des îles – Mer d’Alboran, Marie Cosnay :2022-2023, édition de l’ogre
Voir venir–Écrire l’hospitalité, Marie Cosnay et Mathieu Potte-Bonneville, Stock, octobre 2019.
Qui sont ces migrants qui débarquent dans notre petite ville? Brigitte Tregouet, Mediaspaul, 2020
Philosophie de la relation, Edouard Glissant, Gallimard
Philosopher avec des adolescents migrants plurilingues:Un enseignement-apprentissage de la rencontre interculturelle de Anne-Sophie Cayet, l’harmattan 2024
Inhospitalité, Jacob Rogozinski, cerf, collection la parole et l’écrit, mai 2024
“On ne peut pas accueillir toute la misère du monde: en finir avec une sentence de mort” Pierre Tevanian et Jean-Charles Stevens, Anamosa, juillet 2022.
Etrangers nous-mêmes , Paul Ricoeur, discours aux semaines sociales de France, 1997
Histoire et vérité, seuil, Paul Ricoeur, 1955.
La réserve, pudeur, ressources et résistance par temps de crise, Laure Borgomano, labor et fides, 2025
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DIFFUSION sur la FM :
Lundi - vendredi : 4h -12h et 17h - 21h
Samedi : 16h - minuit
Dimanche : 00h - 14h et 22h - 4h